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La semaine du droit de la famille

Civil - Personnes et famille/patrimoine
07/12/2020
Présentation des dispositifs des derniers arrêts publiés au Bulletin civil de la Cour de cassation, en droit de la famille.
Exercice de l’autorité parentale – ordre public international
« Selon l'arrêt attaqué (Paris, 3 avril 2018), Monsieur X, de nationalité française, et Madame Y, de nationalité russe et américaine, se sont mariés à Paris le 28 mai 1991 sous le régime de la séparation de biens, suivant contrat de mariage reçu par notaire le 21 mai.
Ils se sont installés aux Etats-Unis où sont nés leurs deux enfants.
Madame Y a, le 8 novembre 2001, saisi la Supreme Court de l'Etat de New York d'une requête en divorce. Par « Decision and Order » du 28 juin 2002, le juge Lobis a rejeté la demande de Monsieur X tendant à voir dire le contrat de mariage français valide et exécutoire et écarté l'application de ce contrat. Le juge Goodman a ensuite rendu une « Trial Decision » le 3 octobre 2003, puis un « Judgement of Divorce » le 9 janvier 2004, lequel a prononcé le divorce aux torts du mari, confié la garde des enfants mineurs à la mère, avec un droit de visite et d'hébergement au profit du père, en précisant que la mère devrait consulter le père sur toutes les décisions significatives concernant les enfants mais qu'elle aurait le pouvoir de décision finale, fixé les modalités de contribution du père à l'entretien et l'éducation des enfants, alloué à l'épouse une pension alimentaire mensuelle pendant sept ans et statué sur la liquidation des intérêts patrimoniaux des époux. Sur ce dernier point, le jugement a été partiellement réformé par une décision de la cour d'appel de l'Etat de New York du 3 mai 2005, qui a notamment dit que l'intégralité du solde du produit de la vente de l'appartement new-yorkais devait revenir à Monsieur X.
Par acte du 9 février 2005, Madame Y a saisi le tribunal de grande instance de Paris d'une demande d'exequatur des décisions américaines des 3 octobre 2003 et 9 janvier 2004 en leurs seules dispositions relatives aux pensions alimentaires. A titre reconventionnel, Monsieur X a demandé que soit déclaré inopposable en France le jugement du 28 juin 2002.
(…)
Si le principe d'égalité des parents dans l'exercice de l'autorité parentale relève de l'ordre public international français, la circonstance qu'une décision étrangère réserve à l'un des parents le soin de prendre seul certaines décisions relatives aux enfants, ne peut constituer un motif de non-reconnaissance qu'autant qu'elle heurte de manière concrète les principes essentiels du droit français.
L'arrêt relève, d'abord, que la décision américaine qui organise le droit de visite et d'hébergement du père, en tenant compte de l'éloignement géographique de celui-ci et conformément à l'accord des parties, lui ménage des rencontres régulières avec ses enfants pendant l'année scolaire et les vacances. Il retient, ensuite, s'agissant des modalités d'exercice de l'autorité parentale, que les jugements américains qui, s'appuyant sur les recommandations d'un expert psychiatre, réservent à la mère la décision finale, en cas de désaccord, soulignent, d'une part, les mauvaises relations entre les parents qui ne sont pas parvenus pendant la procédure de divorce à discuter sur les questions d'éducation, d'autre part, l'intérêt pour les enfants d'éviter des conflits constants concernant leur vie. Il ajoute, enfin, que ces jugements rappellent le devoir de consulter le père, de prendre ses préférences et préoccupations et d'essayer de l'inclure dans les événements significatifs de la vie des enfants.
En l'état de ces constatations et énonciations, la cour d'appel, qui a fait ressortir que les mesures relatives aux enfants avaient été arrêtées par référence à leur intérêt supérieur et que les droits du père n'étaient pas méconnus, celui-ci devant, dans tous les cas, être consulté avant toute décision, a exactement retenu que les décisions américaines, en l'absence de violation de l'ordre public international, devaient être reconnues dans l'ordre juridique français.
Le moyen n'est donc pas fondé »
Cass. 1re civ., 2 dec. 2020, n° 18-20.691, FS+P*
 
 Droit de visite et d’hébergement – discernement du mineur
« Selon l'arrêt attaqué (Lyon, 28 mai 2019), X est né le 17 janvier 2011 de Y et De Z, décédée le 11 juin 2013. Par une ordonnance de placement provisoire du 23 août 2017, le procureur de la République l'a confié à l'aide sociale à l'enfance. La mesure a été confirmée par le juge des enfants. Madame A, grand-tante maternelle de l'enfant, a saisi celui-ci d'une demande tendant à l'exercice d'un droit de visite et d'hébergement »
(…) Vu les articles 1189, alinéa 1 er, et 1193, alinéa 1er, du Code de procédure civile :
Selon le premier de ces textes, à l'audience, le juge entend le mineur, ses parents, tuteur ou personne ou représentant du service à qui l'enfant a été confié ainsi que toute autre personne dont l'audition lui paraît utile. Il peut dispenser le mineur de se présenter ou ordonner qu'il se retire pendant tout ou partie de la suite des débats.
Selon le second, l'appel est instruit et jugé par priorité en chambre du conseil par la chambre de la cour d'appel chargée des affaires de mineurs suivant la procédure applicable devant le juge des enfants.
Il résulte de ces textes qu'en matière d'assistance éducative, lorsqu'elle est saisie d'une demande tendant à voir fixer pour la première fois les modalités des relations entre l'enfant placé et un tiers, parent ou non, la cour d'appel ne peut se dispenser d'entendre le mineur, dont elle n'a pas constaté l'absence de discernement, que si celui-ci a été précédemment entendu, relativement à cette demande, par le juge des enfants.
Il ressort des énonciations de l'arrêt et des pièces de la procédure, que le juge des enfants et la cour d'appel ont statué sur la demande de droit de visite et d'hébergement de Madame A, grand-tante de X, sans entendre l'enfant ou constater son absence de discernement.
En procédant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés ».
 Cass. 1re civ ., 2 dec. 2020, n° 19-20.184, P+I*


 Filiation – expertise biologique
« Selon l'arrêt attaqué (Douai, 27 juin 2019), Y est née le 13 novembre 2014 à Seclin, de Madame Z. Le 26 mai 2017, celle-ci a assigné Monsieur X en recherche de paternité.
(…) Il résulte de l'article 310-3, alinéa 2, du Code civil que l'expertise biologique est de droit en matière de filiation, sauf s'il existe un motif légitime de ne pas y procéder.
L'impossibilité matérielle de procéder à l'expertise, en raison, notamment, de l'impossibilité de localiser le père prétendu, peut constituer un tel motif légitime.
La cour d'appel ayant relevé que l'expertise serait vaine dès lors que l'adresse de M. X était inconnue, ainsi que cela ressortait du procès-verbal de recherches infructueuses du 31 juillet 2018, elle a, par ce seul motif, légalement justifié sa décision ».
 Cass. 1 reciv., 2 dec. 2020, n° 19-21.850, F-P*


 Établissement de la filiation paternelle – prescription
« Selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 16 mai 2019), Madame X, née le 24 juillet 1971, a, par acte d’huissier de justice du 15 avril 2016, assigné le procureur de la République près le tribunal de grande instance de Marseille aux fins de voir établir, par la possession d’état, sa filiation paternelle à l’égard de Y, décédé accidentellement le jour de sa naissance. Madame Y, soeur du défunt, ainsi que ses neveu et nièce, (…), sont intervenus volontairement à l’instance.
(…) Selon l’article 330 du Code civil, la possession d’état peut être constatée, à la demande de toute personne qui y a intérêt, dans le délai de dix ans à compter de sa cessation ou du décès du parent prétendu.
Selon l’article 321 du même code, sauf lorsqu’elles sont enfermées par la loi dans un autre délai, les actions relatives à la filiation se prescrivent par dix ans à compter du jour où la personne a été privée de l’état qu’elle réclame, ou a commencé à jouir de l’état qui lui est contesté. À l’égard de l’enfant, ce délai est suspendu pendant sa minorité.
L’ordonnance no 2005-759 du 4 juillet 2005, entrée en vigueur le 1er juillet 2006, a, pour l'action en constatation de la possession d'état, substitué au délai de prescription trentenaire un délai de prescription décennale.
Selon l’article 2222 du Code civil, en cas de réduction de la durée du délai de prescription, le nouveau délai court à compter du jour de l’entrée en vigueur de la loi nouvelle, sans que la durée totale puisse excéder la durée prévue par la loi antérieure.
Il résulte de l'article 328, alinéa 3, du même code que l'action en recherche de paternité ou de maternité est exercée contre le parent prétendu ou ses héritiers et que ce n'est qu'à défaut d'héritiers, ou si ceux-ci ont renoncé à la succession, qu'elle est dirigée contre l'Etat.
Aux termes de l'article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance ; 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui.
Ces dispositions sont applicables en l'espèce dès lors que, selon la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme, le droit à l'identité, dont relève le droit de connaître et de faire reconnaître son ascendance, fait partie intégrante de la notion de vie privée.
Si l'impossibilité pour une personne de faire reconnaître son lien de filiation paternelle constitue une ingérence dans l'exercice du droit au respect de sa vie privée, cette ingérence est, en droit interne, prévue par la loi, dès lors qu'elle résulte de l'application des textes précités du code civil, qui définissent de manière claire et précise les conditions de prescription des actions relatives à la filiation, cette base légale étant accessible aux justiciables et prévisible dans ses effets.
Elle poursuit un but légitime, au sens du second paragraphe de l'article 8 précité, en ce qu'elle tend à protéger les droits des tiers et la sécurité juridique.
Les délais de prescription des actions aux fins d’établissement de la filiation paternelle ainsi fixés par la loi, qui laissent subsister un délai raisonnable pour permettre à l'enfant d'agir après sa majorité, constituent des mesures nécessaires pour parvenir au but poursuivi et adéquates au regard de cet objectif.
Cependant, il appartient au juge d'apprécier si, concrètement, dans l'affaire qui lui est soumise, la mise en oeuvre de ces délais légaux de prescription ne porte pas une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée de l'intéressé, au regard du but légitime poursuivi et, en particulier, si un juste équilibre est ménagé entre les intérêts publics et privés concurrents en jeu.
L’arrêt relève que Madame Y a mal dirigé ses demandes lorsqu'elle a assigné le procureur de la République le 15 avril 2016 et que cette assignation n’a pu interrompre, à l'égard des héritiers de Y, le délai de prescription qui a expiré le 1er juillet 2016. Il ajoute qu’elle a bénéficié d'un délai de quarante-cinq années, dont vingt-sept à compter de sa majorité, pour exercer l'action en établissement de sa filiation paternelle.
De ces constatations et énonciations, la cour d'appel a pu, sans être tenue de procéder à une recherche que ces constatations rendaient inopérante, déduire que le délai de prescription qui lui était opposé respectait un juste équilibre et qu'il ne portait pas, au regard du but légitime poursuivi, une atteinte disproportionnée au droit au respect de sa vie privée et familiale.
Le moyen, irrecevable en sa première branche comme proposant une argumentation incompatible avec celle que Madame Y a développée devant la cour d’appel en soutenant avoir entretenu avec les héritiers de Y des relations régulières pendant de nombreuses années, n'est donc pas fondé pour le surplus ».
Cass. 1re civ., 2 dec. 2020, n° 19-20.279, F-P*
 
Indivision – inscription d'un bien au passif
« Selon les arrêts attaqués (Paris, 22 novembre 2017 et 19 décembre 2018), Madame X et Monsieur Y se sont mariés le 3 octobre 1998 sous le régime de la séparation de biens. Le 14 mai 2003, les époux ont acquis en indivision un appartement au moyen de fonds propres et de différents emprunts.
Par ordonnance du 5 juillet 2010, consécutive à une ordonnance de non-conciliation rendue le 5 mars 2008 dans la procédure de divorce opposant les époux, le juge de la mise en état a, sur le fondement de l'article 255, 10 o, du Code civil, désigné un notaire afin, notamment, d'élaborer un projet de liquidation du régime matrimonial et de formation des lots à partager.
Un jugement du 2 septembre 2013 a prononcé le divorce des époux et ordonné la liquidation et le partage de leurs intérêts patrimoniaux.
(…) Vu les articles 870 et 1542 du Code civil :
Il résulte de ces textes qu'il appartient à la juridiction saisie d'une demande de liquidation et partage de l'indivision existant entre époux séparés de biens de déterminer les éléments actifs et passifs de la masse à partager.
Pour rejeter la demande de Monsieur Y tendant à inscrire au passif indivis la dette résultant du prêt consenti par son père aux époux afin de payer les frais d'acquisition du bien indivis, après avoir relevé que la créance est établie par une reconnaissance de dette, que le prêt n'a pas été remboursé et que la dette n'est pas éteinte, mais que celle-ci peut être prescrite, l'arrêt retient qu'il ne peut être considéré que la prescription acquise a été interrompue par la reconnaissance qu'en a faite Madame X Monaco dans un dire adressé au notaire désigné au titre de l'article 255, 10o, du Code civil, alors que la dette correspond à une créance éventuelle de la succession qui seule pourrait se prévaloir d'une cause d'interruption.
En statuant ainsi, alors qu'il lui appartenait de trancher le désaccord des époux quant à l'existence d'une créance à inscrire au passif, peu important le titulaire de celle-ci, la cour d'appel a violé les textes susvisés
».
 Cass. 1re civ., 2 déc. 2020, n° 19-15.813, FS-P*
 


Le lien vers la référence documentaire sera actif à partir du 7 janvier 2021
 
 
 
 
 
Source : Actualités du droit