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La semaine du droit de la famille

Civil - Personnes et famille/patrimoine
20/10/2020
Présentation des dispositifs des derniers arrêts publiés au Bulletin civil de la Cour de cassation, en droit de la famille.
Liquidation des intérêts patrimoniaux des époux – compétence
« Selon les arrêts attaqués (Aix-en-Provence, 19 octobre 2016 et 21 novembre 2018), Monsieur Y et Madame X se sont mariés religieusement en Irlande en 1997. Le couple a procédé à l'acquisition de plusieurs biens situés en France et s'est séparé en 2008. Le 23 juillet 2009, Monsieur Y a assigné Madame X devant le tribunal de grande instance de Nice en paiement d’une certaine somme, sur le fondement de l'indivision ayant existé entre eux du fait de leur vie commune, du printemps 1998 au mois d'avril 2008. Une ordonnance du juge de la mise en état a ordonné une expertise.
Parallèlement, en 2013, Madame X a engagé une procédure de divorce en Irlande. Par jugement du 8 mars 2016, le tribunal de grande instance de Nice a constaté que Monsieur Y et Madame X étaient mariés au regard du droit irlandais et qu'une procédure de divorce était pendante devant la High Court Family Law d'Irlande du Nord. Il s'est déclaré incompétent pour connaître du litige et a renvoyé les parties à mieux se pourvoir. Le 5 février 2018, la juridiction irlandaise s'est déclarée compétente pour connaître du divorce des parties
(…) Madame X soutient que Monsieur Y n'est pas recevable à présenter devant la Cour de cassation un moyen contraire à ses propres écritures devant la cour d'appel.
Cependant, Monsieur Y a toujours soutenu, devant les juges du fond, que les juridictions françaises étaient compétentes pour connaître du litige et n'a évoqué, qu'à titre subsidiaire, les critères de compétence résultant du règlement (CE) no 2201/2003 du Conseil du 27 novembre 2003, relatif à la compétence, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière matrimoniale et en matière de responsabilité parentale, dit Bruxelles II bis, qui était invoqué par Madame X. Le moyen n'est donc pas contraire à sa position devant les juges du fond.
Il est en conséquence recevable.
Bien-fondé du moyen
Vu le règlement (CE) no 2201/2003 du Conseil du 27 novembre 2003, relatif à la compétence, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière matrimoniale et en matière de responsabilité parentale, dit Bruxelles II bis, le règlement (UE) no 2016/1103 du 24 juin 2016 mettant en oeuvre une applicable, de la reconnaissance et de l'exécution des décisions en matière de régimes matrimoniaux, ensemble les principes qui régissent la compétence internationale et l'article 42 du code de procédure civile :
Il résulte des deux règlements no 2201/2003 et no 2016/1103 que le premier ne régit pas la compétence en matière de liquidation des intérêts patrimoniaux des époux et que le second n’est applicable qu'aux instances engagées après le 29 janvier 2019.
Il s'en déduit qu'en l'absence de convention internationale ou de règlement européen régissant la compétence internationale en matière de liquidation des intérêts patrimoniaux des époux, l'article 42 du Code de procédure civile est applicable, par extension à l'ordre international des règles internes de compétence, à une telle action engagée devant le tribunal de grande instance avant le 1er janvier 2010.
Pour accueillir l'exception d'incompétence au profit des juridictions irlandaises, l'arrêt fait application du règlement no 2201/2003.
En statuant ainsi, alors que ce règlement n'était pas applicable à l'action engagée par Monsieur Y, la cour d'appel a violé les textes et principes susvisés »
Cass. 1re., 14 oct. 2020, n° 19-11.585, P+B*
 

Établissement de la filiation biologique paternelle – respect de la vie privée
« Selon les arrêts attaqués (Paris, 21 novembre 2017 et 19 mars 2019), rendus sur renvoi après cassation (1re Civ., 7 octobre 2015, pourvoi no 14-20.144), Madame X est née le 28 avril 1955 à Hammersmith (Royaume-Uni) de Madame Y et d’un père déclaré par celle-ci comme étant Z. Elle n'a jamais été reconnue par celui-ci.
En 1958, un jugement a condamné X à payer des subsides à Madame Y. Celle-ci est décédée en 1963. Le 11 août 1966, Madame X a été adoptée au Royaume-Uni par un cousin de sa mère et son épouse, Monsieur et Madame C.
Le 12 juillet 2010, Madame X a assigné Z en recherche de paternité. Le 24 octobre 2011, celui-ci est décédé, en laissant pour lui succéder son fils, Monsieur A, issu de son union avec Madame B, prédécédée
(…) Vu l'article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales :
Aux termes de ce texte, 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance ; 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui.
Pour déclarer l'action de Madame X recevable, après avoir énoncé à bon droit que la loi anglaise compétente faisait obstacle à la reconnaissance d'un lien de filiation qui viendrait contredire celui créé par l'adoption, laquelle produisait les effets de l'adoption plénière du droit français, en application de l’article 370-5 du Code civil, l'arrêt retient que le droit au respect de la vie privée et familiale impose d’établir un juste équilibre dans la pondération des intérêts concurrents, à savoir, d’un côté, le droit de Madame X de connaître son ascendance et de voir établir légalement celle-ci, de l’autre, le refus de Z lorsqu’il était vivant, puis de son héritier Monsieur A, qui se sont opposés systématiquement aux demandes de Madame X et, enfin, l’intérêt général lié à la sécurité juridique. Il relève, d'abord, que l'intérêt de Monsieur A, seul héritier de Z et qui avait connaissance de l’existence et du souhait de Madame X de renouer avec sa famille d’origine, au moins depuis 2008, puis de voir reconnaître son lien de parenté, est de moindre importance que l'intérêt de Madame X. Il énonce, ensuite, que, si le droit anglais empêche l’établissement d’une autre filiation en présence d'une adoption, il n’interdit pas pour autant la remise en cause de cette adoption dans certaines circonstances. Il ajoute, enfin, que l’adoption de Madame X a été obtenue dans des conditions particulières, alors que les assistants sociaux avaient adressé plusieurs lettres restées sans réponse à Z, qu’ils s'étaient rendus en France afin de le rencontrer, sans parvenir à entrer en contact avec lui, que seule l’épouse de celui-ci avait contacté téléphoniquement les enquêteurs sociaux, en indiquant qu’elle désapprouvait cette adoption, sans donner de motifs, que le désintérêt de Z à l’égard de Madame X avait été constant jusqu’à ce qu’elle reprenne contact avec lui en 2008 et, encore, que, bien que condamné à payer des subsides par un arrêt de la cour d’appel de Versailles, en 1959, il avait cessé ses paiements quelques années après, ce qui avait contraint les époux C à demander l'adoption de la mineure afin d’obtenir des prestations familiales pour l'élever.
En statuant ainsi, alors qu’il résultait de ses énonciations, d’une part, que
Madame X, qui connaissait ses origines personnelles, n'était pas privée d'un élément essentiel de son identité, d'autre part, que Z, puis son héritier, Monsieur A, n'avaient jamais souhaité établir de lien, de fait ou de droit, avec elle, de sorte qu'au regard des intérêts de Monsieur A, de ceux de la famille adoptive et de l’intérêt général attaché à la sécurité juridique et à la stabilité des liens de filiation adoptifs, l'atteinte au droit au respect de la vie privée de Madame X que constituait l'irrecevabilité de l'action en recherche de paternité ne revêtait pas un caractère disproportionné, la cour d'appel a violé le texte susvisé »
Cass. 1re., 14 oct. 2020, n° 19-15.783, P+B+I*
 
Reconnaissance de paternité – intérêt supérieur de l’enfant
« Selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 4 décembre 2018), Monsieur X, né le 13 avril 1948, et Madame Y, née le 18 août 1964, tous deux de nationalité française, se sont mariés le 8 septembre 2012. Sur une requête du 3 mai 2013, le juge aux affaires familiales a, par jugement du 11 juin 2013, prononcé leur divorce par consentement mutuel. Le 10 novembre 2013, Madame Y a donné naissance à l'enfant Z après recours à une assistance médicale à la procréation avec tiers donneur réalisée en Espagne. Monsieur X a reconnu celle-ci le 12 novembre 2013.
Le 20 janvier 2015, Monsieur X a assigné Madame Y en contestation de paternité. Un jugement du 7 juillet 2016 a ordonné avant dire droit une expertise biologique, qui a conclu à l'absence de paternité biologique de Monsieur X.
(…) Aux termes de l'article 3, § 1, de la Convention de New-York du 20 novembre 1989, dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale.
Aux termes de l'article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance ; 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui.
Si l'action en contestation de paternité et la décision d'annulation d'une reconnaissance de paternité en résultant constituent des ingérences dans l'exercice du droit au respect de la vie privée et familiale, elles sont prévues par la loi, à l'article 332, alinéa 2, du Code civil précité, et poursuivent un but légitime en ce qu'elles tendent à permettre l'accès de l'enfant à la réalité de ses origines.
Après avoir constaté qu'elle était née d'une assistance médicale à la procréation avec tiers donneur réalisée sans le consentement de Monsieur X, celui-ci étant privé d'effet, la cour d'appel a relevé que l'intérêt supérieur de l'enfant Z résidait dans l'accès à ses origines personnelles et que la destruction du lien de filiation avec Monsieur X n'excluait pas pour l'avenir et de façon définitive l'établissement d'un nouveau lien de filiation.
Ayant ainsi statué en considération de l'intérêt de l'enfant, apprécié in concreto, elle a pu en déduire, abstraction faite du motif surabondant critiqué par la deuxième branche, que l'annulation de la reconnaissance de paternité ne portait pas une atteinte disproportionnée au droit au respect de sa vie privée et familiale, justifiant légalement sa décision au regard des exigences conventionnelles susvisées »
Cass. 1re., 14 oct. 2020, n° 19-12.373, P+B*
 

Liquidation de la communauté – récompense
« Selon l'arrêt attaqué (Riom, 3 juillet 2018), Madame X et Monsieur Y , mariés en 1947 sans contrat de mariage, sont décédés, respectivement, les 30 mars 1979 et 7 mai 1999, en laissant pour leur succéder leurs filles, Madame X laissant également pour lui succéder Monsieur Z, son fils issu d’une première union.
(...) Vu l’article 1469, alinéas 1 et 3, du Code civil :
Aux termes de ce texte, la récompense est, en général, égale à la plus faible des deux sommes que représentent la dépense faite et le profit subsistant. Elle ne peut être moindre que le profit subsistant, quand la valeur empruntée a servi à acquérir, à conserver ou à améliorer un bien qui se retrouve, au jour de la liquidation de la communauté, dans le patrimoine emprunteur. Si le bien acquis, conservé ou amélioré a été aliéné avant la liquidation, le profit est évalué au jour de l’aliénation.
Il en résulte que, lorsque la valeur empruntée à la communauté a servi à acquérir un bien propre qui se retrouve partiellement, au jour de la liquidation de la communauté, dans le patrimoine emprunteur pour avoir été aliéné pour partie avant la liquidation, le profit subsistant, qui se détermine d'après la proportion dans laquelle les fonds empruntés à la communauté ont contribué au financement de l'acquisition du bien propre, est évalué en appliquant cette proportion, respectivement, au prix de vente de la portion du bien aliénée et à la valeur au jour de la liquidation de l’autre portion du bien.
Pour évaluer la récompense due par Y à la communauté au titre du remboursement de l’emprunt destiné à payer l'acquisition des deux tiers de l’immeuble situé à Rocles lui appartenant en propre au montant du capital emprunté, soit la somme 6 097,96 euros, l’arrêt retient, d’une part, que l'exception prévue par l'alinéa 3 de l'article 1469 du Code civil ne peut recevoir application lorsque le bien acquis a été partiellement aliéné avant la date de la liquidation de la communauté et ne se retrouve pas intégralement dans le patrimoine propre du mari, d’autre part, que le financement n'ayant été que partiel, le profit subsistant ne peut être calculé au prorata de la valeur totale du bien.
En statuant ainsi, la cour d’appel a violé le texte susvisé »
Cass. 1re., 14 oct. 2020, n° 19-13.702, P+B*

Assistance éducative – examens radiologiques osseux
« Selon l'arrêt attaqué (Rouen, 19 novembre 2019), par jugement du 24 avril 2019, le juge des enfants a confié X, se disant né le 12 juin 2003 à Conakry (Guinée), au service de l'aide sociale à l'enfance du département de la Seine-Maritime jusqu'au 12 juin 2021, date de sa majorité.
(…) Vu les articles 375, alinéa 1er, et 388, alinéas 1 et 2, du Code civil :
Selon le premier de ces textes, si la santé, la sécurité ou la moralité d'un mineur non émancipé sont en danger, ou si les conditions de son éducation ou de son développement physique, affectif, intellectuel et social sont gravement compromises, des mesures d'assistance éducative peuvent être ordonnées par justice.
Selon le second, le mineur est l'individu de l'un ou l'autre sexe qui n'a point encore l'âge de dix-huit ans accomplis. Des examens radiologiques osseux aux fins de détermination de l'âge peuvent être réalisés, en l'absence de documents d'identité valables et lorsque l'âge allégué n'est pas vraisemblable, sur décision de l'autorité judiciaire et après recueil de l'accord de l'intéressé.
Il se déduit de ces dispositions que lorsque le juge, saisi d'une demande de protection d'un mineur au titre de l'assistance éducative, constate que les actes de l'état civil étrangers produits ne sont pas probants, au sens de l'article 47 du Code civil, il ne peut rejeter cette demande sans examiner le caractère vraisemblable de l'âge allégué et, le cas échéant, ordonner un examen radiologique osseux.
Pour refuser le bénéfice de l'assistance éducative à X, l'arrêt relève qu'au regard des incohérences manifestes des documents de l'état civil produits, la présomption de régularité édictée par l'article 47 du Code civil est renversée, de sorte que sa minorité ne peut être retenue.
En se déterminant ainsi, sans rechercher, comme il le lui incombait, si l'âge allégué par l'intéressé n'était pas vraisemblable, la cour d'appel a privé sa décision de base légale ».
Cass. 1re., 15 oct. 2020, n° 20-14.993, FS+P*
 

Renvoi QPC – prestation compensatoire – rente viagère
« Un jugement du 23 décembre 1999 a prononcé le divorce de Monsieur X et de Madame Y et accordé à cette dernière une prestation compensatoire sous forme d'une rente viagère indexée.
Par arrêt du 14 mai 2019, la cour d'appel de Paris a, sur le fondement des articles 33-VI de la loi n 2004-439 du 26 mai o 2004 et 276-3 du Code civil, dans sa rédaction issue de ce texte, accueilli la demande de Monsieur X de suppression de cette rente à compter du 26 novembre 2015.
(…)  Aux termes de l'article 33 VI de la loi no 2004-439 du 26 mai 2004, dans sa rédaction issue de la loi no 2015-177 du 16 février 2015, applicable au litige, les rentes viagères fixées par le juge ou par convention avant l'entrée en vigueur de la loi no 2000-596 du 30 juin 2000 relative à la prestation compensatoire en matière de divorce peuvent être révisées, suspendues ou supprimées à la demande du débiteur ou de ses héritiers lorsque leur maintien en l'état procurerait au créancier un avantage manifestement excessif au regard des critères posés à l'article 276 du code civil . A ce titre, il est tenu compte de la durée du versement de la rente et du montant déjà versé.
Cette disposition, contestée par les deux questions prioritaires de constitutionnalité, est applicable au litige.
Elle n'a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel. Les questions posées présentent un caractère sérieux en ce qu'en prévoyant que les prestations compensatoires fixées sous forme de rente viagère avant l'entrée en vigueur de la loi du 30 juin 2000 peuvent être révisées, suspendues ou supprimées non seulement en cas de changement important dans les ressources ou les besoins de l'une ou l'autre des parties mais aussi lorsque la situation où le maintien de la prestation procurerait au créancier un avantage manifestement excessif au regard des critères posés à l'article 276 du Code civil, tandis, d'une part, qu'une telle faculté de suppression n'était pas ouverte au jour où la prestation a été fixée, d'autre part, que celles fixées après l'entrée en vigueur de la loi du 30 juin 2000 ne peuvent l'être qu'en cas de changement important dans les ressources ou les besoins de l'une ou l'autre des parties, l'article 33-VI de la loi du 26 mai 2004 pourrait être de nature à méconnaître les articles 6 et 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen.
En conséquence, il y a lieu de les renvoyer au Conseil constitutionnel
».
Cass. 1re., 15 oct. 2020, n° 20-14.584, FS+P*



Le lien vers la référence documentaire sera actif à partir du 19 novembre 2020
Source : Actualités du droit